Lettre d’information n°8

Dans le cadre de la réalisation du catalogue documentaire numérique des collections de l’Imprimerie nationale (plus de 700 000 pièces gravées et 35 000 volumes), initiée voici plus d’un an, l’atelier du Livre d’art & de l’Estampe chargé de la mise en œuvre de celui-ci a entrepris une première campagne de numérisation l’an dernier avec l’aide du ministère de la Culture. Près de 336 000 pièces gravées (poinçons et matrices typographiques ainsi que bois gravés chinois du XVIII^e siècle, en grande partie classés au titre des monuments historiques) ont ainsi été numérisées tout comme une cinquantaine d’ouvrages spécialisés sur l’histoire et la technique de la typographie, ouvrages qui ne figuraient pas jusqu’à présent sur d’autres bibliothèques numériques et qui ont été choisis en fonction de leur lien avec les objets conservés dans les collections de l’Imprimerie nationale. En numérisant son patrimoine écrit et gravé, l’Imprimerie nationale souhaite ainsi mettre en valeur ses collections sur un portail dédié et sur d’autres bibliothèques numériques comme Gallica, la bibliothèque numérique de la Bibliothèque nationale de France, ou l’Armarium, la bibliothèque numérique du patrimoine écrit, graphique et littéraire des Hauts-de-France. Chacune des œuvres numérisées sera complétée par une notice descriptive complète dans laquelle seront mentionnés le nom de l’auteur, l’année de création ou de publication, et toutes informations utiles sur l’histoire de l’œuvre en question. L’internaute pourra également effectuer en quelques clics des recherches plus ou moins poussées grâce aux liens qui relieront les différents objets conservés dans les collections de l’Imprimerie nationale, que ce soient des pièces gravées ou des documents et ouvrages divers. Nous vous donnons donc rendez-vous dans la prochaine lettre d’information dans laquelle vous trouverez toutes informations utiles sur ce nouveau portail qui sera en ligne d’ici l’été prochain. Pour l’heure, vous pouvez d’ores et déjà consulter l’ensemble de ces livres numérisés sur le portail L’Armarium qui vient de les mettre en ligne.
www.armarium-hautsdefrance.fr

Le Deutsches Historisches Museum de Berlin a sollicité l’Imprimerie nationale pour le prêt de poinçons Nâgarî (ou Devanâgarî) dans le cadre d’une exposition sur les frères von Humboldt, Wilhelm et Alexander, qui s’est tenue du 21 novembre 2019 au 20 mars 2020. Ces poinçons de corps 20 avaient été gravés pour l’Allemagne, commandés par August Wilhelm Schlegel à Vibert en 1821. Ils furent remis par le gouvernement prussien à la Société asiatique en 1824, par l’entremise de Wilhelm von Humboldt, avant d’être cédés à l’Imprimerie royale en 1833. Wilhelm von Humboldt (1767-1835) était philosophe, diplomate, fondateur de l’université de Berlin (qui porte son nom et celui de son frère depuis 1949), et surtout linguiste et philosophe de la langue. Son frère Alexander (1769-1859) était naturaliste, géographe et explorateur, membre associé de l’Académie des Sciences et président de la Société de Géographie de Paris.
L’écriture nâgarî est employée pour transcrire différentes langues du sous-continent indien. Lointain dérivé de l’écriture brâhmî, elle apparaît dans sa forme classique vers le XIII^e siècle dans l’Inde centrale et servait alors aux usages profanes et sacrés, notant l’hindi, langue officielle de l’Inde, dérivée de l’antique sanscrit, et le sanscrit, langue religieuse brahmanique. La plupart des caractères présentent une ligne horizontale en haut, et une verticale formant potence.

Six années après l’arrêt du service de façonnage, pour cause de départ à la retraite, l’atelier du Livre d’art a réinstallé en février dernier sur son site de Douai les outils et le matériel pour des prestations de façonnage, de réalisation de coffrets de luxe et de reliure artisanale. Pliage, assemblage, brochage, boîtes-livre, boîtes-cadre, étuis, fourreaux, coffrets de conservation… sont à nouveau proposés à nos clients avec la même exigence que celle dont bénéficient nos impressions.

Véritable somme sur l’art typographique, L’Histoire visuelle de l’art typographique, de Paul McNeil parue initialement en 2017 à Londres chez Laurence King Publishing Ltd sous le titre The Visual History of Type, vient d’être publié en langue française aux éditions de l’Imprimerie nationale / Actes Sud (édition française sous la direction d’Olivier Deloignon). L’auteur, designer et enseignant en pratique et histoire de la typographie, créateur de l'identité graphique de nombreuses associations et entreprises, notamment dans les secteurs de la communication et de l'humanitaire, est à l’origine de l'agence de conseil MuirMcNeil, dont les travaux portent sur la systématisation et les algorithmes appliqués au design typographique et graphique ainsi qu'aux images animées. Sur un ensemble de 672 pages et 350 illustrations en couleurs, il propose une plongée inédite dans l’histoire et la morphologie de plus de trois cent vingt caractères emblématiques depuis l’époque incunable jusqu’à nos jours. Classé chronologiquement, accompagné d’une présentation diachronique et d’une grille analytique, chacun de ces caractères est replacé dans son contexte de création et sa destination, et décrypté grâce à des documents rares et des témoignages précis. Outre une très riche iconographie, des index thématiques et un rigoureux glossaire, un système de renvois dévoile les généalogies et les filiations, tandis que la description des spécificités graphiques des lettres permet d’identifier chaque police par ses attributs singuliers. S’adressant à un large public, de l’amateur au professionnel confirmé, cet ouvrage dévoile l’extraordinaire variété graphique de la typographie tout en se révélant un outil précieux pour les étudiants et les graphistes de tous horizons.

Histoire visuelle de l’art typographique, de Paul McNeil (prix : 79 €). www.actes-sud.fr

Un livre pour la jeunesse en 1944

La bibliothèque de l'Imprimerie nationale possède un joli petit livre à l'italienne (22 x 19 cm, 16 pages non chiffrées) ayant pour titre, sur le cartonnage illustré, Je veux connaître... le LiVRE et, à la première page, Le livre, tout simplement. Il a été imprimé à Grenoble en juillet 1944, et déposé le mois suivant, par l'imprimeur-éditeur Dardelet, l'autorisation de la Censure datant de juin 43. C'était le numéro 6 d'une collection pour la jeunesse, "Je veux connaître", qui avait déjà consacré des albums à l'aviation, aux chemins de fer, à la marine à voile. René Leynaud, l'auteur (photo), fut le compagnon de Résistance d'Albert Camus, il venait d'être tué au mois de juin. Assez lisiblement pour ses jeunes lecteurs, qu'il appelle "petits amis", il retrace dans ces pages l'histoire de l'écriture et du livre, depuis la pointe ou le stylet des Anciens jusqu'à la machine offset 4 couleurs. On ne lui reprochera pas un portrait un peu trop anecdotique de Gutenberg, l'objectif étant d'instruire en divertissant. Inversement, certains détails techniques, sur la fabrication industrielle du papier par exemple, devaient dépasser la portée des élèves de classes primaires. Plus grave, on rencontre une bourde ridicule : la Bible à 42 lignes de Gutenberg devient "une Bible en 42 livres". Il n'empêche que l'ouvrage reste très agréable à lire et à regarder grâce aux illustrations de Pol Mad, qui ont un charme désuet, presque exotique. Dans ces dessins au lavis déclinés en camaïeu, reproduits en offset sur un papier ferme, on touche pour ainsi dire les fabricants de papyrus, le scribe égyptien, le moine relieur, l'enlumineur, les caractères typographiques, la presse à bras, les pages pliées ou gondolées du livre ou du journal, la linotype, le rouleau du typographe. De plus, le texte est typographié dans un caractère qui met en valeur les dessins, un type d'"égyptienne" à empattements rectangulaires, bien compact ; et la composition "habille" les contours de l'image, ce qui favorise à la fois la démonstration et l'harmonie visuelle de cette brève initiation aux métiers du livre. Parmi les derniers mots de la plaquette, on lit ceci : "Il y a, dans le public et chez les éditeurs, un goût de plus en plus vif pour la belle typographie, pour la perfection et l'originalité des caractères. Bientôt, peut-être, l'imprimeur devra associer son travail à celui d'un artiste du livre." Il est rassurant de retrouver, en pleine catastrophe de la guerre mondiale, en pleine pénurie de papier, une telle profession de foi pour la bibliophilie, matérialisée ici modestement dans un effort graphique de pédagogie, qui annonçait, juste avant les manuels du Père Castor, l'âge d'or de l'encyclopédie pour la jeunesse des années 50-60.

Robert Massin nous a quittés le 8 février dernier, à Paris, à l'âge de 94 ans. Ce graphiste et typographe français a travaillé pour de grandes maisons d'édition telles que Gallimard et Imprimerie nationale Éditions. Peu connu du grand public, il est toutefois étudié dans les écoles d'arts depuis plusieurs décennies. Né en 1925, dans l'Eure-et-Loir, Robert Massin se forme après le lycée à la typographie aux côtés de Pierre Faucheux, l'un des fondateurs du graphisme français moderne au Club français du Livre. Il entre chez Gallimard en 1958 en tant que directeur artistique, et y travaillera pendant plus de vingt ans. Il signe notamment les mises en page des ouvrages Exercices de style (1963) et Cent Mille Milliards de poèmes (1961) de Raymond Queneau ou encore La Cantatrice chauve d'Eugène Ionesco (1964). Ces ouvrages sont remarquables par le jeu entre la typographie et le texte, Massin créant de véritables mises en scène typographiques. Robert Massin a également conçu des chartes graphiques pour des collections publiées par divers éditeurs. En 1971, il réalise ainsi la maquette des célèbres livres de poche de Gallimard, la collection Folio. Il choisit le fond blanc et fait appel à des illustrateurs pour chaque titre. Dans les années 1980, il devient directeur de collection aux éditions Denoël, puis travaille pour les éditions Albin Michel, Robert Laffont et La Nuée bleue. Il est également l'auteur de plusieurs ouvrages sur la typographie, comme L'ABC du métier (Imprimerie nationale Éditions, 1989), ou Azerty, L'alphabet du monde (Gallimard, 2004).