Le cabinet des poinçons
Trésor de l’Imprimerie nationale, le cabinet des Poinçons, constitue un patrimoine unique au monde avec ses quelque 700 000 pièces gravées dont la plus grande partie est classée au titre des monuments historiques :
230 000 poinçons d’acier, 224 000 idéogrammes chinois gravés sur bois, 28 000 poinçons pour la gravure des médailles, 14 000 poinçons pour la gravure de musique, 3 000 cuivres d’illustration, 151 000 matrices en cuivre, 15 000 bois d’affiches, 1 300 bois gravés, très nombreuses vignettes et ornements typographiques, 2 500 fers à dorer…
Parmi les fleurons de ce patrimoine, mentionnons les poinçons des 7 caractères latins exclusifs de l’Imprimerie nationale : le Garamont ou Romain de l’Université sous François Ier, le Grandjean ou Romain du Roi sous Louis XIV, le Luce ou Types poétiques sous Louis XV, le Didot millimétrique ou Romain de l’Empereur sous l’Empire, le Marcellin-Legrand ou Types de Charles X, le Jaugeon à la charnière du XIXe et du XXe siècle, et le Gauthier dans la seconde moitié du XXe siècle.
Signalons en outre les très nombreux poinçons de caractères orientaux et extrême-orientaux permettant de composer dans plus de 65 écritures, et dans 150 styles différents : cunéiforme ninivite, hiéroglyphes égyptiens, araméen, hébreu, arabe, tifinag, samaritain, syriaque, russe, chinois, siamois, tamoul, tibétain, laotien, maya, runique…
Poinçons auxquels il convient d’ajouter de véritables joyaux tels que les Grecs du roi, poinçons gravés par Claude Garamont à la demande de François Ier, ou les Buis du Régent, caractères chinois gravés sur bois entre 1715 et 1745.
95 000 poinçons latins, orientaux et extrême-orientaux sont désormais visibles sur un portail dédié www.imprimerienationale-patrimoine.fr
Et dès l’an prochain, ce seront 224 000 bois gravés d’idéogrammes chinois et 140 000 matrices qui pourront ainsi être consultés sur ce même portail.
Les caractères latins exclusifs de l’Imprimerie nationale
Les caractères de l’Imprimerie nationale sont une invitation au voyage, dans le temps mais également dans l’espace. Ainsi, des centaines de milliers de caractères des cinq continents conservés au cabinet des poinçons permettent de retracer l’histoire des écritures du monde.
Parmi les très nombreux caractères latins qui figurent dans les collections de l’Imprimerie nationale, ceux conçus et gravés sous la Monarchie puis sous l’Empire et la République, pour l’établissement d’État, perpétuent une tradition ancestrale qui a fait la gloire de la typographie française. Exclusivement destinés à l’usage de l’Imprimerie royale, impériale puis nationale, ces caractères au nombre de huit constituent la marque d’un règne, le style d’une époque.
Ces caractères possèdent pour la plupart comme spécificité une petite sécante à mi-hauteur sur le l bas de casse ou minuscule, signe distinctif de l’Imprimerie nationale.
Le Garamont de François Ier, l’ornementation du style Renaissance
Imitation du célèbre caractère du XVIe siècle, le « Garamont » est également connu sous le nom de « Romain de l’Université ». Il est issu des matrices authentiques achetées en 1641 par Sébastien Cramoisy, premier directeur de l’Imprimerie royale, à Jean Jeannon, imprimeur et graveur, et a été complété de douze corps en 1904.
Le Grandjean de Louis XIV, l’équilibre classique
Le « Romain du Roi » authentique typographie de Louis XIV, est également connu sous le nom de son créateur, Philippe Grandjean, graveur et conservateur de la fonderie royale de l’époque. Inspirée des dessins établis par la Commission Jaugeon, chargée par Jean Anisson, alors directeur de l’Imprimerie royale, de renouveler la typographie royale, cette œuvre demeure cependant originale, et son ampleur fut telle que la gravure de ce caractère en 21 corps différents, a dû être poursuivie tout au long de la première moitié du XVIIIe siècle par Jean Alexandre, son successeur puis par Louis-René Luce. Conçu comme une architecture, le « Romain du Roi » se détache de la calligraphie dans sa juste proportion, sa régularité et son uniformité.
Le Luce de Louis XV, la délicatesse baroque
L’œuvre graphique de Louis-René Luce, orfèvre de formation graveur du roi Louis XV, a été conçue par amour de l’art. Avec ses 6 000 poinçons gravés de 1740 à 1770, comprenant entre autres 15 corps de « types poétiques » parfaitement adaptés à la composition des vers, et ses innombrables vignettes typographiques, elle est le fruit d’une passion et d’une grande virtuosité.
Le Didot millimétrique de Napoléon Ier, la géométrie néo-classique
La gravure d’un nouveau caractère voulu par le nouvel Empereur, fut confiée à Firmin Didot, chef de la fonderie de l’Imprimerie impériale. Se ralliant au système métrique institué par décret du 2 novembre 1801, Firmin Didot donna au point la valeur de 0,25 mm. Sur ces bases, il grava de 1812 à 1815 le « Didot millimétrique » ou « Romain de l’Empereur » composé de 13 corps. Reflétant les principes de l’art néo-classique, ces caractères servirent à imprimer la Relation des cérémonies du sacre et du couronnement. Ce caractère fit l’objet d’une nouvelle fonte dans les années 1970.
Le Marcellin-Legrand de Charles X, l’harmonie poétique
Cette typographie, dont la gravure a été commencée en 1825 et terminée en 1832, se compose de 30 corps de caractères. Ces types de caractères avaient été établis d’après les travaux d’une commission composée de membres de l’Institut et de professionnels des arts graphiques. Gravés par Marcellin Legrand, graveur de l’Imprimerie royale, et dénommés « Types de Charles X », ils devaient progressivement remplacer, puis supplanter, les différentes gravures alors en usage à l’Imprimerie royale.
Le Jaugeon, le nouveau Romain du Roi
Imaginé en 1692, le caractère Jaugeon est une réalisation due à Arthur Christian, directeur de l’Imprimerie nationale de 1895 à 1906. À sa demande, 12 corps de ce caractère furent gravés au tout début du XXe siècle par Hénaffe, graveur officiel de l’établissement, et ses collaborateurs. Ce caractère reproduit, plus exactement que le Grandjean, les types dessinés sous l’égide de la Commission Jaugeon, à partir d’un carré divisé en 2 304 parties égales. Le « Jaugeon », parfois appelé le « Hénaffe », a une grande rectitude. Ses lettres sont grasses, d’assise robuste et solide.
Le Gauthier, la simplicité de l’épure
Ce caractère est l’œuvre de Louis Gauthier, graveur typographe qui dirigea le nouvel atelier de gravure pour la réfection, l’entretien et la conservation des poinçons historiques rétabli en 1948 par Raymond Blanchot, alors directeur de l’Imprimerie nationale. Constatant qu’aucun autre caractère n’avait été conçu depuis le début du siècle, Gauthier a eu l’idée d’établir une nouvelle typographie. La gravure de ce caractère, en trois corps différents, a été mise en œuvre entre 1969 et 1978. Le « Gauthier » adapte la forme des Linéales à la tradition classique des caractères de l’Imprimerie nationale. Il est le seul caractère de l’Imprimerie nationale à avoir été transposé en monotype, et le premier à avoir été digitalisé lors de sa création.
Le Salamandre, un caractère totalement numérique
Dernier caractère historique créé en 2019 par Franck Jalleau, dessinateur et concepteur de caractères pour l’Imprimerie nationale et ses clients, le Salamandre marque une nouvelle ère, résolument tournée vers la dématérialisation et le numérique. Adapté au monde actuel, ce caractère lisible tant sur les supports traditionnels que sur les écrans, ne renie pas pour autant l’héritage du passé. Humanistique et linéal, le « Salamandre » se distingue par sa simplicité, son élégance, son aspect épuré… sans empattement. S’inscrivant parmi les polices dites « variables », apparues au cours de ces dernières années, qui peuvent combiner plusieurs styles différents, plusieurs graisses et chasses variables, il renvoie à l’écriture imprimée et offre une lisibilité et une harmonie visuelle parfaites. Référence à l’emblème de l’Imprimerie nationale devenue IN Groupe, il témoigne de la permanence d’une longue et lointaine tradition qui se perpétue de siècle en siècle s’adaptant sans cesse aux nécessités du temps présent. Le « Salamandre » constitue un exemple de création de caractère identitaire que l’Imprimerie nationale est en capacité de proposer à ses clients privés et institutionnels.